Quelle est la place de la propriété et des communs dans la protection de l’environnement ? 

“Ce qui est commun au plus grand nombre fait l’objet des soins les moins attentifs. L’Homme prend le plus grand soin de ce qui lui est propre, il a tendance à négliger ce qui est commun.” Aristote, Politique, Livre II

Deux notions mais un seul intérêt ?

“… nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature” ces mots énoncés par René Descartes dans le discours de la méthode en 1637 et aujourd’hui souvent détachés du contexte dans lequel ils ont été employés, permettent de rendre compte de la relation que l’Homme entretient avec l’environnement. En s’affirmant de la sorte, l’Homme s’est rendu responsable de l’effacement progessif de l’environnement dit naturel, il s’est rendu coupable de la dégradation des ressources[1].

Les hommes se sont appropriés au cours de l’histoire les terres sur lesquelles ils vivaient, ils travaillaient, ils récoltaient… C’est le droit de propriété, le droit réel le plus absolu qui a alors vu le jour[2]. Aujourd’hui présente dans le code civil, la propriété est définie comme “le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements.” Code civil, article 544. 

La propriété est finalement la réunion de trois critères essentiels: l’abusus (disposer), l’usus (utiliser) et le fructus (jouir), ce qui permet à son propriétaire de jouir de toutes les utilités de la chose qu’il a en sa possession[3]. L’appropriation permet d’user du bien de manière souveraine à l’exclusion des autres et de leurs prétentions. En conséquence, le propriétaire détient le pouvoir de disposer de cette dernière comme il l’entend, il a en sa possession le pouvoir d’aliéner, de dénaturer ou de détruire sa chose. 

A l’origine, toutes les limitations tendant à contrecarrer le droit de disposer, de jouir et d’utiliser devaient être incroyablement réduite voir interdite, mais l’urgence climatique vient mettre en doute cela. 

L’urgence de la nécessité environnementale prend de l’importance dans les débats publics et politiques. Ainsi, reconnue à la fois comme d’intérêt général et ayant également acquis valeur constitutionnelle, la protection de l’environnement se pose à son tour, comme une importante limite au droit de propriété[4].

La propriété est d’intérêt individuel. D’un autre côté les enjeux de la protection de l’environnement touche les hommes en tant que collectivité, il est question d’intérêt général. L’individualité de la propriété et la collectivité de l’environnement en font deux notions opposées. Mais cette opposition est-elle justifiée ? Des points de rapprochements peuvent exister même si elles semblent contradictoires. 

Les communs, un droit de “trop” ?

Dans le cas d’une gestion collective des ressources naturelles, s’il  existe un droit d’usage, il s’agit alors d’un droit pour tous. Garrett HARDIN dans « The Tragedy of the Commons »[5] dépeint le libre accès comme la cause de la surexploitation. 

« Une ressource à laquelle tout le monde a librement accès est une ressource dont personne n’a intérêt à assurer l’entretien ni le renouvellement, puisqu’il s’agit d’actions qui, du fait du principe de libre accès, ne peuvent pas y avoir de valeur marchande ; donc une ressource condamnée à être surexploitée et rapidement épuisée. » 

Alors la véritable raison de l’épuisement des mers tient seulement au fait qu’il s’agisse d’un « bien de libre accès », une propriété collective pour s’opposer à l’individuelle. L’utilisation d’un tel système n’apporte aucune garantie personnelle. La prudence et la limite volontaire des prises pour ne pas aggraver la surexploitation ne donnent aucune garantie que les autres feront de même, et finalement chaque individu risque en fin de compte d’être le grand perdant de ce système. Finalement, chacun en poursuivant son propre intérêt participe à l’épuisement de la ressource que chacun convoite. 

Prenons un autre exemple : l’atmosphère. Traditionnellement qualifiée de chose commune, son caractère inappropriable se justifiait par son abondance. La pollution de l’air arrivée, l’atmosphère est alors apparue comme un bien rare et précieux. A l’instar de celle de l’eau, la consommation de l’air peut détériorer sa composition : ce n’est plus le même air qui circule lorsqu’il est souillé par des rejets.

Dans le fait de polluer et ainsi de salir, il peut y avoir un fait de privatisation de l’air propre consommé. N’est-ce pas ce qui ressort techniquement de l’analyse des émissions de gaz dans l’espace public aérien ? 

La réflexion a pris une tournure nouvelle depuis que les Etats ont décidé de remettre la main sur la ressource atmosphérique[6]. Les quotas d’émission de gaz à effet de serre changent la donne. Les entreprises industrielles doivent désormais détenir un permis spécial pour diffuser dans l’air une quantité déterminée de gaz. De libre, l’usage de l’atmosphère devient, pour les acteurs les plus polluants, limité et encadré. Ici, le droit climatique renverse un des piliers du droit des biens : l’interdiction devient le principe.

C’est l’institution des « droits de polluer » qui a lancé le débat de la privatisation de l’atmosphère. Au motif que la loi les qualifie de biens meubles négociables sur le marché, ces nouveaux objets juridiques témoigneraient d’une conversion de biens communs en biens privés. 

Même si la pollution est le produit du régime capitaliste, elle devrait disparaître dans une société socialiste où la propriété privée et le profit ont été abolis. Le contraire est pourtant observé. 

Si de nos jours l’opinion publique voit le mot propriété comme tabou face aux considérations actuelles, notamment environnementales, il faut rappeler qu’il ne peut exister de marché sans biens de droit de propriété à échanger. 

Et si la propriété était la clé ?

Il y a quelques années, les experts de la N.A.S.A. furent intrigués par une photographie prise par un de leurs satellites. Au milieu de l’énorme tache brune d’un désert, on pouvait voir une tache verte. Qu’est-ce que cela pouvait bien être ? Une visite sur le terrain apporta la réponse : un simple fil de fer barbelé. Il constituait une simple barrière, symbole de propriété qui suffisait à faire renaître la vie. Tout compte fait, cette photographie laisse à penser que la propriété permettrait une optimisation plus respectueuse du bien ainsi que son entretien afin d’en éviter la dégradation. 

Lorsqu’apparaît le principe d’appropriation exclusive, les choses sont donc très différentes. Ne pas assurer l’entretien nécessaire à la conservation de la ressource dont on a la propriété entraîne un coût économique. Il y a une incitation à la gestion responsable des ressources naturelles afin de maximiser leur valeur à long terme. Il en résulte, non pas que toute ressource est nécessairement gérée de façon optimale, mais que le système de la propriété crée un lien très direct entre la motivation que le propriétaire a d’assurer l’entretien de son patrimoine et les bénéfices des efforts de préservation de cette ressource.

La propriété peut également fournir une protection contre la surexploitation des ressources naturelles[7]. Le propriétaire a le contrôle de l’accès à celle-ci. Cela permet de réglementer l’utilisation de la ressource et de limiter l’accès à des acteurs externes qui n’ont pas d’intérêt à long terme dans la préservation de ces ressources et pourraient alors l’exploiter de manière excessive. 

Contrairement à ce qui est généralement affirmé, la solution des problèmes de dégradation de l’environnement, de surexploitation des ressources naturelles ou de destruction de la vie sauvage, passerait par une extension des procédures d’appropriation privée partout où cela est techniquement possible. Contrairement à ce que l’on attendrait, la propriété serait un allié des protecteurs de l’environnement. 

L’Etat, les citoyens, qui doit équilibrer la balance  ?

L’exemple soviétique montre que les systèmes économiques qui ne reconnaissent ni la propriété privée, ni la liberté d’entreprendre, ni l’économie de marché, peuvent engendrer des désastres écologiques. Il y a donc un rôle important joué par l’Etat dans l’équilibre de la balance entre propriété individuelle et protection de l’environnement. 

Souvent « pompier pyromane »[8] l’État peut être la solution, comme le problème. Il ne suffit pas de traduire l’impératif écologique en lois et règlements pour que le comportement des hommes et des entreprises suivent car ils chercheront à éviter les coûts supplémentaires d’une interdiction ou une contrainte réglementaire. Face aux problèmes environnementaux, tous les citoyens doivent être engagés dans la protection de l’environnement. Un consortium entre l’Etat et les scientifiques  doit faire prendre conscience de ce qu’est la bonne exploitation des ressources naturelles, pour que tous comprennent les objectifs justes et s’engagent dans le verdissement de leur consommation et puissent accepter la privatisation de la nature. Il est nécessaire pour tous que le développement économique se fasse dans cette optique et que l’idée voulant qu’un régime de propriété qui privilégie la propriété privée ou la propriété commune avec accès fermé ou réglementé puisse être une solution se démocratise.

Finalement, si les propriétaires sont tenus responsables de l’utilisation de leurs propriétés, y compris des dommages qu’ils peuvent causer à l’environnement, et que la législation peut les contraindre à respecter certaines normes environnementales et à prendre des mesures pour réduire les impacts de leur activité, l’environnement n’apparaît alors qu’en tant que contrainte extérieure pour le propriétaire.

 

Ainsi ajoutée à l’essence de la propriété, qui réside dans la faculté de perdre la maîtrise de la chose, en la détruisant, en l’abandonnant ou en la transférant à autrui, le pouvoir de perdre le droit d’en profiter par le non respect des contraintes, fait que la propriété redevient capable d’apporter sa pierre à la lutte contre le changement climatique.

Margaux Tardieux

Sources

[1] Crozes, A. E. (2018). Les droits réels au service de l’intérêt environnemental : entre démembrements et obligations consenties. Droit et ville. https://doi.org/10.3917/dv.086.0183 
[2] Lepage, H. (1985). Pourquoi la propriété (Vol. 287). Paris: Hachette.
[3] Legal, P. (2012). Droit de propriété et maîtrise des « sols environnementaux » . Quelques enseignements tirés de la tempête Xynthia. Norois, 222, 79‑89. https://doi.org/10.4000/norois.4009
[4] Charles Escudier, « Crise climatique et atteintes au droit de propriété », 23 Juin 2021
[5] Hardin, G. (1968). The Tragedy of the Commons. Science, 162(3859), 1243‑1248. https://doi.org/10.1126/science.162.3859.1243
[6] Grimonprez, B. (2015). La fonction environnementale de la propriété. RTDCiv.: Revue trimestrielle de droit civil, 3, 539-550.
[7] Gidrol-Mistral, G. (2017). L’environnement à l’épreuve du droit des biens. McGill Law Journal, 62(3), 687-737.
[8] Facchini, F., & Falque, M. (2022). Droit de propriété et protection de l’environnement. Journal des libertés