En 2021, lors de la sortie du rapport du GIEC sur le climat, une étude pour mesurer la couverture climatique a été réalisée. Mis à part France Télévisions, toutes les chaînes publiques ou privées ont consacré moins de 2% de leur temps d’antenne au climat[1]. Alors qu’il reste moins de 3 ans pour atteindre les objectifs de maintien de l’augmentation des températures en dessous de 1,5°C, ceci est quelque peu alarmant concernant les conséquences sur l’opinion publique. D’autres failles existent dans la couverture médiatique. 

 

En France, la majorité des journalistes traitent des sujets « évenementialisables », qui pourront faire la une, être sensationnels et faire vendre. Dans le cadre des changements climatiques, le langage est alarmiste[2]. Les termes utilisés sont principalement catastrophistes, du champ lexical de la violence et de l’urgence. Ceci est un choix. Bien qu’il soit essentiel de ne pas minimiser les conséquences des changements climatiques, certaines études ont suggéré que l’utilisation de propos alarmistes n’incitent pas à l’implication dans des actions visant à les limiter[3]. Cela peut conduire à une perception exagérée de la gravité des conséquences des changements climatiques ou à un sentiment d’impuissance face à ces événements. En effet, ce type de communication conduit souvent au déni, à la paralysie ou à l’apathie, au lieu de pousser les individus à l’action[4]

De plus, ces discours comportent parfois des inexactitudes. Nous ne nous attarderons pas sur le sujet du choix des sources, qui comme chacun le sait, peut mener à sensibiliser ou désinformer en fonction de leur fiabilité. Nous souhaitons nous concentrer sur les biais médiatiques pouvant conduire à une perception erronée des conséquences climatiques. 

D’une part, les journalistes peuvent commettre des erreurs scientifiques, volontaires ou involontaires. Après un article publié dans la revue Nature portant sur les changements climatiques, les écrits de presse découlant de ce papier ont été étudiés. Cette étude a montré que parmi une gamme de possibilités évoquées, les résultats et les conclusions de l’article scientifique étaient déformés pour mettre en évidence les conséquences les plus catastrophiques et les plus imminentes[5]. En outre, les médias ont également une tendance à l’immédiateté. Lors de l’ouragan Harvey en août 2017, la couverture médiatique de l’événement fût très importante, tout comme la spéculation sur la responsabilité des changements climatiques dans cette catastrophe. Cependant, lors de la publication des résultats de l’étude scientifique sur la responsabilité du dérèglement météorologique, le traitement par les médias fût plus limité. Enfin, les médias influencent grandement la perception des solutions possibles pour ralentir le problème en présentant des solutions technologiques, sociales, politiques, ou aucune solution. 

Néanmoins, même en faisant preuve d’une grande justesse dans la description des évènements climatiques, de leurs causes, leurs conséquences et des options à notre disposition pour affronter la situation, il semble y avoir un plafond de verre à leurs compréhensions par le grand public. En 2018, Valérie Masson-Delmotte, co-présidente du groupe 1 du GIEC, affirmait qu’il faudrait 70 heures de cours aux adolescents pour qu’ils puissent appréhender dans son ensemble le dérèglement climatique[6].

Les enjeux climatiques sont peu couverts et lorsqu’ils le sont, c’est avec un langage pressurisant et urgentiste. Ce paradoxe crée un sentiment d’anxiété chez de nombreux citoyens. 

En outre, une impression d’inaction politique s’ajoute. 

Effectivement, malgré de nombreux accords et conventions au cours des dernières décennies, les changements climatiques continuent. Bien qu’ils aient sans aucun doute eu des effets positifs, les objectifs principaux ne sont pas atteints. L’accord de Paris, ratifié en 2016, vise à maintenir l’augmentation des températures moyennes bien en dessous de 2°C, en visant 1,5°C par rapport aux températures de l’ère préindustrielle. Toutefois, il ne comporte pas d’obligations précises concernant la réduction des émissions. Un an après la signature, en 2017, les pays principaux concernés par cet accord n’avaient pas mis en œuvre les politiques promises. Par conséquent, les objectifs n’étaient pas atteints[7]. Une étude a estimé qu’avec les tendances actuelles, la probabilité de maintenir le réchauffement climatique en dessous de 2°C est de 5%[8].

Or, des accords internationaux concernant les climats existent depuis 1980. Les rapports du GIEC alertent depuis 1990 sur les répercussions des activités humaines sur le climat. Cette accumulation d’inefficacité, probablement combinée avec l’observation du réchauffement climatique à l’échelle individuelle, a poussé les citoyens à se saisir eux-mêmes de la communication autour des changements climatiques afin d’alerter leurs compatriotes et faire bouger les décisionnaires. 

Les scientifiques ont été les premiers à se rendre compte des conséquences potentielles des changements climatiques. De surcroît, ce sont les seuls à pouvoir mesurer précisément la perte d’information et la distorsion de leurs recherches par les médias. Afin de reprendre le contrôle sur leur communication, ils ont été les instigateurs de nombreuses actions. 

Ainsi, en France, ils sont à l’initiative du train pour le climat. Il s’agit d’un train express régional (TER) faisant arrêt dans plusieurs gares et transportant des wagons dédiés à l’explication des bases climatiques, des variations naturelles et anthropiques, ainsi que leurs impacts.  Ces informations sont complétées par une partie pédagogique concernant les enjeux de la limitation des émissions et les différences entre un scénario laisser-faire et un scénario sobre.  Des scientifiques sont présents afin de rendre le message plus impactant. Par exemple, Eric Guilyardi, climatologue et océanographe au CNRS, utilise des métaphores parlantes telles que la suivante, « contre un scénario du laisser-faire, un scénario sobre où on limite nos émissions de GES, la différence est extrêmement importante. On va parler d’une évolution de la température de 1 °C à 2 °C dans un scénario sobre, par rapport à 3 °C à 5 °C. On va dire que ce n’est pas beaucoup mais c’est comme quand vous avez la fièvre : 38 °C ou 39 °C, vous prenez une aspirine, vous vous couchez et ça passe. 3 °C à 5 °C de plus, ça fait 42 °C : si vous êtes encore en vie, vous êtes en réanimation à l’hôpital. »[9]

De plus, pour les scientifiques, les tribunes et pétitions sont un moyen d’interpeller les gouvernements et de sensibiliser les citoyens. Au cours de ces 5 dernières années, un grand nombre de pétitions concernant le climat ont vu le jour ; certaines sommant le gouvernement au combat contre la sixième extinction massive[10], d’autres appelant cette fois-ci les citoyens à des action de désobéissance civile et indirectement les responsables politiques…[11] Certains scientifiques ont également proposé des mesures destinées aux institutions européennes, dans le but d’améliorer la politique agricole[12]. Deux cents revues de recherche médicale ont publié un éditorial interpellant les dirigeants dans lequel ils rappellent que « La plus grande menace pour la santé publique mondiale est l’incapacité persistante des dirigeants à maintenir l’augmentation de la température mondiale en dessous de 1,5 °C et à remettre la nature en état ». 

Côté citoyens, des associations comme Quota Climat ou des collectifs « Pour plus de climat dans les médias » ont vu le jour afin d’interpeller, cette fois, les médias en leur rappelant de donner plus de place à l’urgence climatique dans l’espace médiatique. 

Des marches et des grèves ont eu lieu afin de protester contre les gouvernements. En 2019, des dizaines de milliers d’étudiants, dans plus de 100 pays, ont manifesté pour réclamer aux dirigeants mondiaux de prendre l’urgence climatique plus au sérieux[13]. Cette action coordonnée depuis les réseaux sociaux a permis d’être à l’origine de plus de 2000 événements à travers le monde. Le nombre estimé d’étudiants est de 1,6 millions[14]. Cette action ayant eu lieu 3 jours avant le « 2019 UN Climate Action Summit », convoqué par le secrétaire général de l’ONU, avait pour objectif de renforcer la pression sur les acteurs politiques et économiques. 

Des mobilisations de personnalités publiques ont également entraîné un grand engagement qui a été mesuré par une étude à travers les recherches Google menées suite à ces évènements. Par exemple, des films ou des documentaires tels que The Day After Tomorrow (2004), portant sur les dérèglements climatiques a généré 10 fois plus de couverture médiatique que le rapport du GIEC de 2001. Le discours de Léonardo DiCaprio, lors de la remise de l’oscar du meilleur acteur pour The Revenant (2015), sur la relation entre changement climatique et activité humaine a eu un impact fort, puisque dans l’heure suivante, les recherches « changement climatique » sur Google ont augmentées de 261%[15]. Bien que l’on ne sache pas si ce type de comportements est dû au discours en lui-même ou à la couverture médiatique qui en a résulté, cette prise de conscience découle d’une prise de conscience citoyenne. 

Tout ceci a probablement impulsé un basculement médiatique inévitable, en mettant l’environnement au premier plan pour bon nombre de citoyens[16]. En effet, 2019 est un tournant en termes de couverture médiatique des changements climatiques. The Guardian adapte ses recommandations d’écriture et intègre le niveau mondial de dioxyde de carbone dans son bulletin météorologique[17]. Des organes de presse collaborent à plusieurs occasions pour traiter le sujet à la plus grande échelle possible[18] ou comme en 2022, s’engager à traiter le sujet à la hauteur de l’urgence écologique[19].

Ces initiatives citoyennes, scientifiques, médiatiques ont probablement influencé le discours et les actions politiques. 

En 1972, McCombs et al. ont publié une étude concluant sur le rôle important que peut jouer la couverture médiatique dans la définition de la réalité politique[20]. Une autre portant plus particulièrement sur l’importance des médias dans la définition de la politique climatique a conclu de manière similaire[21] [22].

Concernant la communication sur les réseaux sociaux, bien qu’il existe encore peu d’études sur ce sujet, elle semble augmenter l’investissement et les connaissances des personnes sur un sujet précis[23]. Or, plus la couverture médiatique et les revendications du peuple concernant les changements climatiques sont importantes, plus des mesures politiques d’atténuation sont adoptées. 

 

Ainsi, il semble qu’un grand nombre de facteurs aient influencé la prise au sérieux des changements climatiques au cours du temps. Bien que les efforts à faire restent encore immenses, la mobilisation citoyenne sera sans aucun doute plus importante chaque année jusqu’à ce que les objectifs soient atteints.  

Marie Plaisant

Sources

[1] Arrêt sur Images. (s. d.). Arrêt sur images. https://www.arretsurimages.net/articles/a-la-tele-le-rapport-du-giec-vaincu-par-le-gel  
[2] Ereaut et Segrit, « Warm Words: How are we Telling the Climate Story and can we Tell it Better? », Institute for Public Policy Research, London,‎ 2006
[3] O’Neill et Nicholson-Cole, « “Fear Won’t Do It”: Promoting Positive Engagement with Climate Change Through Visual and Iconic Representations », Science Communication, vol. 30, no 3,‎ 2009, p. 355–379 (DOI 10.1177/1075547008329201)
[4] Lisa Dilling et Susanne C. Moser, Creating a climate for change : communicating climate change and facilitating social change, Cambridge, UK, Cambridge University Press, 2007, 1–27 p. (ISBN 978-0-521-86923-2), « Introduction »
[5] Ladle, Jepson et Whittaker, « Scientists and the media: the struggle for legitimacy in climate change and conservation science », Interdisciplinary Science Reviews, vol. 30, no 3,‎ 2005, p. 231–240 (DOI 10.1179/030801805X42036)
[6] Valérie Masson-Delmotte : Des heures pour les sciences du climat. (s. d.). https://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=http%3A%2F%2Fwww.cafepedagogique.net%2Flexpresso%2FPages%2F2018%2F12%2F18122018Article636807098776759689.aspx#federation=archive.wikiwix.com&tab=url 
[7] Victor, D. G., Akimoto, K., Kaya, Y., Yamaguchi, M., Cullenward, D., & Hepburn, C. (2017). Prove Paris was more than paper promises. Nature, 548(7665), 25‑27. https://doi.org/10.1038/548025a
[8] Liu, P., & Raftery, A. E. (2021). Country-based rate of emissions reductions should increase by 80 % beyond nationally determined contributions to meet the 2 °C target. Communications Earth & Environment, 2(1). https://doi.org/10.1038/s43247-021-00097-8
[9] Bluteau, M. (2015, 16 octobre). Climat : que feriez-vous si vous saviez ? France Inter. https://www.radiofrance.fr/franceinter/climat-que-feriez-vous-si-vous-saviez-8970898 
[10]  « « Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité » : l’appel de 200 personnalités pour sauver la planète », Le Monde.fr,‎ 3 septembre 2018 
[11]  « Face à l’urgence climatique, 1000 scientifiques appellent à la “désobéissance civile” » [archive], sur LExpress.fr, 20 février 2020
[12]  « 3600 scientifiques interpellent la « désastreuse » politique agricole européenne » [archive], sur RTBF Info, 9 mars 2020
[13]  Laville, S., Taylor, M., & Hurst, D. (2021, août 25). « It’s our time to rise up »  : youth climate strikes held in 100 countries. the Guardian. https://www.theguardian.com/environment/2019/mar/15/its-our-time-to-rise-up-youth-climate-strikes-held-in-100-countries 
[14] Haynes, S. (2021, 30 avril). « It’s Literally Our Future. » Here’s What Youth Climate Strikers Around the World Are Planning Next. Time. https://time.com/5554775/youth-school-climate-change-strike-action/  
[15] Mavrodieva, A. V., Rachman, O. K., Harahap, V. B., & Shaw, R. (2019). Role of Social Media as a Soft Power Tool in Raising Public Awareness and Engagement in Addressing Climate Change. Climate, 7(10), 122. https://doi.org/10.3390/cli7100122  
[16] Signauxfaiblesco. (2021, 28 mai). Un moment de bascule. Signaux Faibles. https://signauxfaibles.co/2019/11/02/un-moment-de-bascule/ 
[17] Carrington, D. (2021, 29 octobre). Why the Guardian is changing the language it uses about the environment. the Guardian. https://www.theguardian.com/environment/2019/may/17/why-the-guardian-is-changing-the-language-it-uses-about-the-environment 
[18] Guest. (2021). Has Climate News Coverage Finally Turned a Corner ? DeSmog. https://www.desmog.com/2019/11/09/has-climate-news-coverage-finally-turned-corner/ 
[19] Regnier, X. (2022, 14 septembre). Changement climatique : Plus de 500 journalistes signent une charte pour un meilleur traitement de « l’urgence écologique » . www.20minutes.fr. https://www.20minutes.fr/planete/3349659-20220914-changement-climatique-plus-500-journalistes-signent-charte-meilleur-traitement-urgence-ecologique 
[20] Castañares-Burcio, W., Mantini, M., & Echezarreta, V. S. (2018). Relato de la información y construcción de una controversia sobre educación. Estudios Sobre El Mensaje Periodistico. https://doi.org/10.5209/esmp.62207 
[21] Boykoff, M. (2007). Flogging a dead norm ? Newspaper coverage of anthropogenic climate change in the United States and United Kingdom from 2003 to 2006. Area, 39(4), 470‑481. https://doi.org/10.1111/j.1475-4762.2007.00769.x 
[22] Dolšak, N., & Houston, K. (2013). Newspaper Coverage and Climate Change Legislative Activity across US States. Global Policy, 5(3), 286‑297. https://doi.org/10.1111/1758-5899.12097 
[23] Schäfer, M. S. (2012). Online communication on climate change and climate politics : a literature review. Wiley Interdisciplinary Reviews : Climate Change, 3(6), 527‑543. https://doi.org/10.1002/wcc.191