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Avec l’arrivée d’internet à haut débit sur les ordinateurs à la fin des années 2000 se démocratisent les premiers sites de visionnage de vidéo en ligne, comme Youtube ou encore Dailymotion. Internet, d’abord lieu hors-la-loi d’échange de copies illégales de films, parvient finalement à se démocratiser : jusque-là non-intéressés, le monde du cinéma et les chaînes de télévision majeures s’y installent, voyant les opportunités qu’apportent ce nouveau marché. Par conséquent, l’ère de la vidéo à la demande (VOD) et du streaming vidéo connaît un essor considérable depuis quelques années, avec l’apparition de nombreuses plateformes comme Netflix, Amazon Prime, Hulu, Crunchyroll, etc. Ces services offrent aux utilisateurs un accès illimité à des films, des séries et des émissions depuis le confort de leur domicile, moyennant un abonnement mensuel. Faisant aujourd’hui partie intégrante du visage d’internet, nous pouvons nous interroger sur les conséquences de cette utilisation du web. Quel est l’impact environnemental de cette consommation massive de vidéos en ligne ? Le streaming vidéo est-il maintenable à long terme ? Quelles sont les solutions possibles pour réduire son empreinte écologique ? Nous commencerons par décrire l’ampleur du phénomène du streaming vidéo et ses conséquences sur la consommation d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre. Nous analyserons ensuite les limites du streaming vidéo et les risques pour l’avenir. Enfin, nous proposerons des solutions pour réduire l’impact environnemental du streaming vidéo et peut-être envisager des compromis. 
En 2019, le numérique émettait 4 % des gaz à effet de serre du monde, soit davantage que le transport aérien civil. Cette part pourrait doubler d’ici 2025 pour atteindre 8 % du total, soit autant que la totalité des émissions actuelles des voitures. En France elle représentait 2,5 % de l’empreinte carbone nationale en 2022 d’après une étude de l’ADEME.[1] Si nous nous intéressons à l’impact de la vidéo seule, elle représente plus de 60% du trafic sur le web en 2019, soit plus de 300 millions de tonnes de CO2 ![2] Voici quelques ordres de grandeur de volume des vidéos, en fonction des algorithmes de compression utilisés et du nombre d’images par seconde[3] :

● 720p (HD, 1280 x 720 pixels) : de 1 500 à 6 000 kbit/s
● 1080p (FULLHD, 1920 x 1080 pixels) : de 3 000 à 9 000 kbit/s
● 2160p (4K, 3840 x 2160 pixels) : de 10 000 à 35 000 kbit/s
La consommation énergétique du numérique se décompose de manière quasi équivalente entre la production (45%) et l’utilisation (55%). Nous y retrouvons les chiffres suivants pour l’année 2017 :

Figure 1 : Distribution de la consommation énergétique du Numérique par poste pour la production et l’utilisation en 2017 [4]

Si nous décomposons le fonctionnement du numérique, il repose sur des infrastructures qui nécessitent une grande quantité d’énergie pour fonctionner et qui émettent des gaz à effet de serre lors de leur construction.[5] Ces infrastructures comprennent les serveurs qui hébergent les contenus, les réseaux qui les acheminent jusqu’aux utilisateurs, et les appareils qui les affichent sur les écrans. Chacune de ces étapes a un impact écologique à prendre en compte. En effet, les data centers sont souvent situés dans des zones où l’électricité est peu chère et abondante, mais pas forcément propre : la production d’électricité dépend encore largement des énergies fossiles comme le charbon, le gaz ou le pétrole, qui sont responsables des émissions de CO2. Selon une étude de Netflix (qui essaye de se défendre face à cette réalité)[6], la consommation électrique de ses data centers représentait en 2019 environ 50% de son empreinte carbone. En ce qui concerne l’impact du transport de la donnée, selon la même étude de Netflix, la consommation électrique des réseaux représentait environ 34% de son empreinte carbone en 2019. Chiffres à prendre avec beaucoup de vigilance, car l’énergie dépensée dépend grandement de la source, avec des facteurs 10 à 50 entre la 4G et la wifi. Enfin, la plus grande partie représente les terminaux qui permettent aux utilisateurs de regarder les vidéos en streaming. Nous y retrouvons les ordinateurs, les tablettes, les smartphones, les téléviseurs ou encore les consoles de jeu. Ces appareils ont un impact écologique à plusieurs niveaux : lors de leur fabrication, qui nécessite des matériaux rares et polluants ; lors de leur utilisation, qui consomme de l’électricité (en France, nous avons une énergie très décarbonée: moins de 50gCO₂eq/kWh)[7] ; et lors de leur fin de vie, qui génère des déchets électroniques difficiles à recycler. Selon l’étude de Netflix, cette partie ne représentait qu’environ 16% de son empreinte carbone en 2019. 
Nous voyons donc que le streaming vidéo a un impact environnemental important, qui s’explique par la consommation d’énergie et les émissions de CO2 liées aux infrastructures nécessaires à sa diffusion. Cet impact est d’autant plus préoccupant que la demande en streaming vidéo ne cesse d’augmenter, avec l’apparition de nouvelles plateformes et de nouveaux contenus… 
Ainsi, le streaming vidéo n’est pas un mode de consommation durable, car il repose sur des ressources limitées et polluantes. Par ailleurs, la demande croissante dans le domaine, particulièrement exacerbée par la pandémie mondiale, entraîne des augmentations du nombre et de la taille des data centers, qui posent des problèmes d’espace, de gestion des déchets (un serveur est changé en moyenne tous les 4 ans) et de sécurité. Enfin, le streaming vidéo a aussi un impact social que nous pouvons considérer comme négatif, car il favorise une forme de passivité et d’isolement chez les utilisateurs, qui délaissent les autres activités. 
Le streaming vidéo fait face à plusieurs limites et risques pour l’avenir. D’une part, il existe une limite physique à la capacité de stockage et de transfert des données numériques. Selon une étude du CNRS[1], il faudrait doubler tous les deux ans le nombre de data centers dans le monde pour répondre à la croissance exponentielle du trafic sur Internet. Or, cette solution n’est pas viable sur le long terme, car elle implique une consommation d’énergie et de matériaux insoutenable pour la planète. D’autre part, il existe une limite psychologique et sociologique à la consommation de vidéos en streaming. En effet, le streaming vidéo peut avoir des effets négatifs sur le bien-être et le développement des individus : une étude menée par l’Université du Michigan a montré une corrélation entre des symptômes de dépression, d’anxiété et de solitude et le binge-watching (visionner plusieurs épisodes d’une série à la suite pendant plusieurs heures). 
Nous voyons donc que le streaming vidéo n’est pas sans conséquences sur l’environnement et sur la société. Il s’agit d’un mode de consommation qui présente des limites et des risques pour l’avenir, qui doivent être pris en compte par les acteurs du secteur et par les utilisateurs. Quelles sont les solutions que nous pouvons apporter à ces problèmes ?
D’une part, il faut encourager les plateformes de streaming à adopter des pratiques plus responsables, comme l’utilisation d’énergies renouvelables pour alimenter leurs data centers,[7] l’optimisation du stockage et du transfert des données, ou encore la compensation de leurs émissions de CO2 par des projets environnementaux (même si cette solution est délicate car, en réalité, les projets de ce type ne sont pas très efficaces, les arbres mettant du temps à pousser cette compensation se fera à retardement). D’autre part, il faut sensibiliser les utilisateurs à adopter une consommation plus modérée et plus consciente du streaming vidéo, en limitant le temps passé devant les écrans, en choisissant des résolutions d’image moins gourmandes en données. 
Les plateformes de streaming ont un rôle important à jouer pour réduire leur impact environnemental. Elles peuvent notamment s’engager à utiliser des sources d’énergie plus propres et plus durables pour faire fonctionner leurs infrastructures. Par exemple, Netflix a annoncé en 2020 qu’elle avait atteint son objectif de neutralité carbone, en compensant 100% de ses émissions directes et indirectes par des investissements dans des projets de réduction ou de séquestration du CO2.[6] L’entreprise a également affirmé qu’elle allait réduire son intensité carbone par heure de visionnage de 45% d’ici 2022, en améliorant l’efficacité énergétique de ses data centers et en optimisant la compression des vidéos. D’autres plateformes, comme Amazon Prime ou Disney+, se sont également engagées à atteindre la neutralité carbone dans les prochaines années. 
En tant qu’utilisateurs, nous avons également un rôle important à jouer pour réduire cet impact environnemental. Nous pouvons notamment adopter des gestes simples et efficaces pour limiter notre consommation d’énergie et de données lors du visionnage de vidéos en streaming. Par exemple, il faut préférer le téléchargement au streaming, qui permet d’éviter les pertes de données liées au transfert en continu.[8] Nous pouvons également visionner en Wifi plutôt qu’en 4G ou 5G, qui consomment plus d’énergie et émettent plus de CO2. Cette dernière arrivée (la 5G) semble apporter une meilleure efficacité énergétique d’après l’opérateur télécom Orange,[9] mais n’oublions pas qu’il faut construire et installer de nouvelles antennes à plus faible portée, et que les utilisateurs s’équipent d’appareil compatible, alourdissant le bilan carbone… Nous pouvons aussi baisser la résolution des vidéos, qui n’a qu’un impact sur la qualité visuelle mais qui permet d’économiser jusqu’à 90% de données.[10] De plus, nous pouvons désactiver la lecture automatique, qui incite à regarder plus de contenus que ce que nous aurions souhaité visionner initialement, voire dans les cas les plus extrêmes, mettre des limites de durée de visionnage, manuellement ou à l’aide d’un logiciel. Enfin, acheter des appareils plus petits, reconditionnés et ayant des résolutions plus faibles a un impact majeur sur l’empreinte carbone de notre numérique. 
Ainsi, il existe des solutions pour réduire l’impact écologique du streaming vidéo, qui impliquent une responsabilisation des plateformes et des utilisateurs. Il s’agit d’un défi collectif qui nécessite une prise de conscience et une volonté commune de changer nos modes de consommation numérique.[11] La question est maintenant de voir si nous ne pouvons (devons) pas aller plus loin et revoir nos modes de consommation de ces médias. Nos ressources sont finies, et quand elles arriveront à leurs limites, il nous faudra faire des choix. 
En conclusion, une réflexion sur l’optimisation éclairée et réfléchie de la répartition des ressources entre les usages, afin de préserver les apports sociétaux les plus précieux des technologies numériques, semble la prochaine étape primordiale avant qu’il ne soit trop tard et que le choix ne nous appartienne plus.

Linaël Batard Pabois

Sources

[1] Streaming vs CD ou DVD, liseuse vs livre papier : quels sont les impacts environnementaux de la digitalisation des services culturels ? (s. d.). ADEME Presse. https://presse.ademe.fr/2022/11/streaming-vs-cd-ou-dvd-liseuse-vs-livre-papier-quels-sont-les-impacts-environnementaux-de-la-digitalisation-des-services-culturels.html#:~:text=A%20travers%20cette%20%C3%A9tude%2C%20l,n%C3%A9gligeables%20sur%20tous%20les%20indicateurs
[2] Michel, & Michel. (2021). Streaming et VOD : des impacts environnementaux majeurs ? |VotreSoleilVotreEnergie.com. VotreSoleilVotreEnergie.com. https://votresoleilvotreenergie.com/streaming-et-vod-des-impacts-environnementaux-majeurs/
[3] Juge, H. (2019). Streaming vidéo sur Internet et impact écologique ? Ecologie et citoyenneté, l’avenir de nos enfants ? https://ecologie.en-pratique.fr/streaming-video-impact-ecologique-co2/
[4] Project, S. (2021). « Climat : l&rsquo ; insoutenable usage de la vidéo en ligne » : le nouveau rapport du Shift sur l&rsquo ; impact environnemental du numérique. The Shift Project. https://theshiftproject.org/article/climat-insoutenable-usage-video/
[5] ADEME. (2018). La face cachée du numérique. Consulté le 27 juin 2023, à l’adresse https://www.pays-landerneau-daoulas.fr/medias/2021/03/1811_LA_FACE_CACHEE_DU_NUMERIQUE.pdf
[6] La vérité sur l’impact climatique du streaming vidéo – About Netflix. (s. d.). About Netflix. https://about.netflix.com/fr/news/the-true-climate-impact-of-streaming
[7] @ElectricityMaps | Live 24/7 CO2 emissions of electricity consumption. (s. d.). https://app.electricitymaps.com/zone/FR
[8] Benisty, M. (2022, 26 janvier). Pollution numérique : 4 gestes à adopter pour limiter l’impact environnemental du streaming. POSITIVR. https://positivr.fr/videos-streaming-limiter-impact-environnemental/
[9] 5G et environnement – Réseaux Orange. (2023, 9 février). 5G et environnement – Réseaux Orange. https://reseaux.orange.fr/5g-et-environnement
[10] Dabas, H. (2021, 18 septembre). Streaming : comment réduire son impact environnemental ? ID, l’Info Durable. https://www.linfodurable.fr/technomedias/streaming-comment-reduire-son-impact-environnemental-28618
[11] L’empreinte environnementale du numérique | Arcep. (s. d.). Arcep. https://www.arcep.fr/la-regulation/grands-dossiers-thematiques-transverses/lempreinte-environnementale-du-numerique.htm