/!\ Cet article propose une forme différente des autres articles. Il se lit comme une fiction sur ce que pourrait être les choix de la France face aux enjeux climatiques.


En passant devant un ancien bâtiment, j’aperçus une silhouette tenant un objet entre ses mains, ses yeux se posant alternativement sur l’objet puis sur le bâtiment. Détournant le regard pour m’attarder sur le monument, je sentis son attention se diriger vers moi. Encore une fois, j’allais avoir le droit de me plonger dans l’Histoire. 

La silhouette se mit à pointer l’édifice du doigt et commença à m’adresser la parole.

Que pensez-vous de la ressemblance entre ce dessin de l’ancien parlement et ce monument ? D’après ce journal, c’était un lieu de prise de décision du peuple à échelle nationale. Il représente une vieille idéologie maintenant devenue vétuste. C’est fascinant n’est-ce pas ?

Elle désigna le carnet qu’elle tenait entre ses mains et enchaîna. 

C’est le journal d’un des mes ancêtres apparemment. Il y raconte la création de notre société actuelle, la renaissance d’une population et d’un territoire pour la survie. Vous n’avez pas l’air pressé, je me ferai donc une joie de vous enseigner ce que j’ai appris !  


Pour vous donner le contexte de l’époque, le monde était en proie à de nombreux évènements climatiques violents, les écosystèmes étaient abîmés, les ressources d’eau et de nourriture au plus bas. La santé humaine aussi était menacée, autant mentale par le contexte global, que physique par de nombreuses maladies. Des solutions furent cherchées dans la technologie, notamment dans la conquête spatiale. En France, la montée des eaux entraînant la migration de milliers de personnes, déclencha un sursaut de prise de conscience au niveau gouvernemental. Et c’est comme ça que débute ce journal. 


Tout a commencé par une allocution de la Présidente en vigueur. Elle décrète alors la France en état d’urgence face aux problèmes climatiques. Les gens ont commencé à avoir peur. Jusqu’à présent, ils vivaient dans le déni et l’inaction. C’était la première fois qu’on les mettait face à leur destin fatidique. Au milieu de cette agitation, la présidente donna les plein pouvoirs à un groupe de scientifiques : les Éclairés. Ils ont été choisis pour leur connaissances sur le climat, la biodiversité, la biochimie, l’hydrogéologie et de nombreuses autres spécialisations. Plus rien n’avait d’importance autre que les enjeux environnementaux. Le peuple français mué par une sorte d’instinct de survie, n’opposa pas de résistance les premiers mois. Le choc face au changement les ébranla tous. Au fond, tout le monde savait que le mode de vie qu’ils avaient connu jusque là, était révolu. D’ici naquit, l’ère des Eclairés. Un brin prétentieux, mais essentiel pour inspirer l’espoir et reconstruire une civilisation. Par volonté de renouveau, ils baptisèrent l’année de la transition le nouvel an 0. Les années se comptèrent donc en années avant (av. R) et après (ap. R) le Renversement. L’ère des Eclairés commença donc en l’an 1 ap. R. 


La gravité de la situation a conduit les Éclairés à prendre des mesures drastiques pour assurer la survie de la population. Les lois tombèrent une à une, retirant morceau par morceau le confort établi depuis des années. 

Ils commencèrent par s’intéresser aux émissions dues au transport, puisqu’elles représentaient un tiers du rejet français de dioxyde de carbone. Ils interdirent les vols à l’intérieur du pays, puis tout engin motorisé thermique appartenant à des particuliers dans les villes et métropoles.

Au fur et à mesure, les trajets des particuliers furent de plus en plus réglementés. Un justificatif était demandé pour les déplacements au-delà d’un certain nombre de kilomètres. L’alimentation des stations services fut limitée et rationnée. Concernant le transport de marchandises, les trains de fret furent stratégiques et remplacèrent une partie de la flotte de poids lourds. Une majorité des réseaux ferroviaires fonctionnait de nuit pour pallier l’intermittence des sources d’énergie. 


Les déplacements étaient aussi régis par des quotas carbones inspirés de vieux concepts visionnaires. Chaque habitant possédait un quota d’émission de dioxyde de carbone dont la valeur était déterminée par une quantité nationale seuil. Les moins émetteurs pouvaient échanger ou vendre aux plus pollueurs de sorte à ce que la valeur seuil ne soit pas dépassée. Si bien, que les quotas prirent de la valeur et devinrent une monnaie à part entière.

Les industriels étaient aussi concernés, beaucoup ont fait faillite à cette époque, dont des industriels des énergies fossiles, de la construction, du transport, de l’agroalimentaire (viande).

La gestion des ressources fut un véritable calvaire pour le pays et cette citation de Mathilde Szuba, que j’ai trouvé dans le journal, introduit particulièrement bien le sujet : « L’abondance permet l’indépendance, mais la limitation des ressources introduit l’interdépendance. ».

L’électricité, l’eau et les ressources alimentaires furent rationnées. Les particuliers avaient le droit à un quota de denrées renouvelable tous les mois en fonction du nombre de personnes à charge. Ce rationnement était inéluctable au vu de la mauvaise gestion des ressources, des sécheresses, des incendies et de la dégradation des sols. Dans un second temps, les Éclairés réduisirent les importations au maximum, ce qui eut pour conséquence de provoquer des pénuries de certains produits qu’on ne trouvait plus que sous forme d’occasion.


Mais la décision qui provoqua le plus de remous fut l’application d’une politique de l’enfant unique. Pour les scientifiques au pouvoir, la régulation du nombre d’individus était fondamentale. 


Vous devez vous demander quelles ont été les réactions du peuple face à toutes ces restrictions ; et quelles ont été les conséquences ? Et bien, comme je l’ai dit précédemment, au début le choc a gardé la population complètement inactive. Mais à force de se voir retirer des libertés, la différence avec le confort et l’opulence de leur vie d’avant, finit par les mettre en colère. D’autant plus que pour faire respecter la volonté des Éclairés, la mise en place d’une milice présentée comme un groupe de contrôleurs a été obligatoire, exacerbant le mécontentement ambiant. De nombreuses manifestations ont eu lieu. Plusieurs visions s’affrontaient : ceux qui pensaient qu’ils n’avaient pas le choix et que ce sacrifice permettrait d’assurer un avenir à leurs descendants et ceux qui pensaient que rien ne pouvait être un prétexte pour atteindre les droits de l’Homme, et que certaines mesures en altéraient les valeurs. Il n’y avait pas de pensée correcte, et les manifestants, fatigués de lutter pour un passé définitivement révolu, s’organisèrent en groupuscules. Des communautés se mirent alors à émerger, souvent en retrait dans des zones rurales. Leurs membres formaient leur propre gouvernance et étaient autosuffisants. 

C’est de ces groupuscules que se sont construits et organisés des marchés de troc. Ces marchés étaient basés sur l’échange de matériel ou de connaissances, on y voyait le plus souvent des vêtements, des outils low-tech qu’on pouvait venir faire réparer sur place, de la décoration, des ustensiles de jardinage, de cuisine etc.  


De ces communautés germa aussi de « nouvelles » pratiques ; par manque de moyens et par volonté, les membres se mirent à se soigner avec ce qu’ils trouvaient à proximité. Les herboristeries remplacèrent les pharmacies. Ce retour aux sources ne changea pas juste le secteur de la santé, il eut un impact sur le rapport à la Nature. D’elle dépendait leur santé et leur survie et tout ce changement était finalement dans le but de la préserver et de les préserver en conséquence. Cette nouvelle relation avec leur environnement naturel était si forte que de nombreuses religions s’élevèrent, dérivées de formes d’animisme.


Dans cet esprit s’organisèrent, à l’échelle nationale, une restauration des écosystèmes lente mais prometteuse. Grâce à tous les sacrifices de la population, les émissions de dioxyde de carbone ont diminué drastiquement en France. Concernant les autres pays, les communications étaient très limitées, si bien qu’ils ne savaient pas trop ce qu’il s’y passait. Des échos circulaient : guerre, famine, sécheresse, mais aussi capture carbone, nouvelles sociétés, technologies encourageantes. Qu’est ce qui était vrai ? Personne ne le savait vraiment. Le seul témoin était le nombre de réfugiés climatiques qui essayaient d’entrer sur le territoire. Au départ, ils étaient pris en charge mais au vu des ressources qui s’amenuisaient, les Éclairés, par appréhension, fermèrent les frontières. Pour eux, c’était un manque d’humanité pour sauver l’humanité.


L’autrice, dans le passage que je lis actuellement, commente les événements en tant qu’ancienne députée à l’Assemblée Nationale. Elle se voyait comme une représentante de la démocratie et a assisté à son anéantissement ; et selon elle à sa renaissance. Les communautés locales étaient porteuses d’espoir et d’un nouveau mode de gouvernance locale et totalement inédite. 

Elle dit plus loin, je cite  « Est-ce qu’on aurait pu faire autrement ? Peut-être ou peut-être pas. Le mot qui importe ici est « faire » et sans réveil nous n’aurions pas fait » Elle avoue alors que la privation de ses libertés était, de son point de vue, l’électrochoc nécessaire au changement radical de mode de vie et à une prise de conscience globale. Elle ajoute que dans ce contexte climatique la démocratie est intimement liée, et reflète, les opinions de la majorité, et durant la phase de l’écocide, l’inaction représentait la norme. 


Ce n’est que son point de vue parmi des millions d’autres, mais je suis heureuse d’avoir un morceau de l’Histoire entre les mains. Elle et ses contemporains ont forgé notre avenir pour le meilleur et pour le pire. 


Elle sourit une dernière fois et s’en alla comme elle était venue.

Marine Lattuada

Inspirations

[1] AEE, 2021 Panorama français des gaz à effet de serre | Chiffres clés du climat 2022 (developpement-durable.gouv.fr)
[2] David Fleming, « Stopping the Traffic », Country Life, 140 (19), 9 mai 1996, p. 62-65 
[3] David Fleming, « Tradable Quotas : Using Information Technology to Cap National Carbon Emissions », European Environment, 7 (5), septembre-octobre 1997, p. 139-148
[4] David Fleming, « Your Climate Needs You », Town and Country Planning, 67 (9), octobre 1998, p. 302-304 ; Mayer Hillman et Tina Fawcett, How we Can Save the Planet, Londres, Penguin Books, 2004.
[5] Szuba, Mathilde, et Luc Semal. « Rationnement volontaire contre « abondance dévastatrice » : l’exemple des crags », Sociologies pratiques, vol. 20, no. 1, 2010, pp. 87-95.
[6] Szuba, Mathilde. « Chapitre 5. Régimes de justice énergétique », Agnès Sinaï éd., Penser la décroissance. Politiques de l’Anthropocène I. Presses de Sciences Po, 2013, pp. 119-138.