La gestion des déchets est une préoccupation dont l’enjeu n’a cessé d’augmenter lors des dernières années. Auparavant connoté négativement[1], ce résidu de consommation est aujourd’hui vu comme une source de valeur ou de matière première à économiser. En 2018, selon le rapport de l’ADEME « Déchets chiffres-Clés : L’essentiel 2021 »[2], la quantité de déchets de constructions, des entreprises et des ménages collectés en France s’élèvent à 342 millions de tonnes, soit 5,1 tonnes par habitant. Parmi ceux-ci, les déchets des ménages représentent 39 millions de tonnes, soit 582 kg par habitant.

Ainsi, en février 2020, la loi AGEC (loi Anti-Gaspillage pour une Économie Circulaire) fixe des objectifs sur la réduction des déchets, le réemploi, le gaspillage énergétique et la valorisation énergétique. Le plan France Relance vient également soutenir cette loi, en appuyant de plus de 500M€ sur 3 ans le fond Économie circulaire géré par l’ADEME.

Ces fonds, bien que nécessaires, ne sont que des ressources qui ne permettront d’atteindre les objectifs fixés qu’avec une répartition dans des projets avec un impact concret. Or, ces projets sont multiples, et leurs effets difficilement anticipables. Quelles sont les meilleures stratégies de gestion des déchets ménagers à adopter ? Vaut-il mieux agir en amont de la collecte des déchets ménagers par les municipalités, en agissant sur les comportements des citoyens, par exemple avec des opérations de sensibilisation, ou au contraire, améliorer par la technologie la gestion des déchets en aval de la collecte ?

Nous proposons dans un premier temps de faire un état des lieux du tri des déchets des ménages, et de les comparer aux objectifs annoncés par la loi AGEC. Nous verrons ensuite des solutions à aborder, éducatives ou technologiques.

 

La loi AGEC fixe un objectif de réduction des déchets ménagers de 15% en 2030 (par rapport à 2010), soit un objectif de 501,5 kg par habitant. Bien que cette tendance ait été suivie entre 2008 et 2015, probablement favorisée par la stagnation de la consommation des ménages, l’augmentation de ces déchets entre 2015 et 2019 nous en éloigne. En 2019, ces déchets municipaux (529 kg par habitant hors déblais et gravats) sont issus à 47% de la collecte d’ordures ménagères résiduelles (OMR), à 16% de la collecte sélective de matériaux secs et de verre, à 5% de la collecte sélective d’encombrants et de déchets verts, et à 32% des déchèteries. Les quelque 254 kg par habitant d’OMR sont composés à environ 33% de déchets putrescibles, 15% de papiers, 15% de plastiques, 8% de verres et métaux, 12% de textiles sanitaires et 12% d’autres déchets[2]

Figure 1 – Mode de collecte des déchets municipaux, hors déblais et gravats (2019) et composition des ordures ménagères résiduelles (2017)

 

Qu’advient-il de ces déchets ? Pour les poubelles grises (OMR), 67% sont valorisés énergétiquement ou incinérés, 24% partent en décharge et 8% en Traitement Mécano-Biologique. 84% des déchets issus des collectes séparées partent en centres de tri ou recyclage (verre, emballages et papiers), 16% en valorisation organique (biodéchets). Enfin, pour les déchèteries, 26% vont en valorisation organique,  40 % en recyclage, 25 % en décharge et 7 % en valorisation énergétique.

En 2018, près d’un quart des OMR sont encore envoyés vers des centres de stockage. De plus, d’après CITEO, l’entreprise chargée du recyclage en France, bien que l’acier (100%), le verre (85%), le papier-carton (64%) et les papiers graphiques (60,5%) se recyclent bien (rapport entre l’entrant en processus de recyclage et la quantité mise sur le marché), ce n’est pas le cas de l’aluminium (48%), et encore moins des plastiques (28%), au cœur des préoccupations quand l’objectif est d’avoir 100% d’emballages recyclables à l’horizon 2030[3].

Plusieurs solutions sont envisageables pour atteindre les objectifs de la loi AGEC. Nous avons choisi de les catégoriser en deux typologies : les solutions technologiques, et les solutions comportementales.

Selon l’étude « Etude des corbeilles de propreté en France et à  l’international »[4] menée en 2019, bien que le tri des déchets ménagers dans les foyers se soit banalisé, le tri hors-foyer (urbain, gare, aéroport, déchets sauvages…),  est encore très en retard, et « apparaît comme un angle-mort des politiques nationales et locales de réduction et de gestion des déchets ménagers ». Une des causes principales est le manque d’harmonisation à l’échelle nationale du design des poubelles de propreté. Majoritairement, ces poubelles n’ont qu’un seul bac, ne permettant pas le tri ; ou des consignes de tri peu compréhensibles sur les poubelles, généralement non multilingues, utilisant des sigles plutôt que des exemples de déchets attendus. À l’échelle locale cependant, on trouve des exemples aux retours positifs : à Grenoble, une corbeille triflux, avec trois ouvertures respectivement pour le verre, les canettes, papiers et plastiques recyclables, et les autres déchets non recyclables. Les ouvertures pour les recyclables et le verre sont en forme de cercle et volontairement réduites pour réduire les erreurs de tri. La généralisation de ce genre d’initiative technologique à l’échelle nationale peut être une solution pour améliorer le tri hors-foyer.

Figure 2 – Corbeille triflux

Il est également souhaitable d’innover dans le domaine des machines de tri. C’est le cas de Pellenc ST, leader national, qui a inauguré en 2022 son centre d’innovation de 1350 m² à Pertuis, dans le Vaucluse, selon un reportage d’Actu-Environnement[5]. Objectif de ce nouveau centre : tester de nouvelles technologies (caméras, capteurs, intelligence artificielle) dans des conditions les plus proches de la réalité d’un centre de tri. Les machines pourront également directement remonter des informations au client sur la qualité et la quantité du tri (matière, tonnage…). 

 

Cependant, la technologie n’est pas la seule solution pour améliorer la gestion de nos déchets. Des changements comportementaux et organisationnels permettent aussi d’accompagner cette transition.

Les premiers gestes pour réduire la quantité de déchets à traiter se situent à la conception des produits. Réduire la quantité de matière utilisée, privilégier des mono-matériaux recyclables, et travailler sur l’origine de la matière avec des matières recyclées et issues de ressources renouvelables et durables, ce sont trois actions-clés de la conception des emballages mises en avant par la CITEO dans son rapport de 2021. 

La simplification du geste de tri est une innovation organisationnelle de ces dernières années qui a contribué à une meilleure gestion des déchets ménagers recyclables. D’après CITÉO, le cap des 35 millions de personnes, soit plus d’un français sur deux, a été atteint en 2021, pour une augmentation sur la quantité d’emballages recyclés de 3 kg par habitant et par an.

La tarification incitative est un dispositif qui concerne 5,9 millions d’habitants (9,3 millions en incluant les collectivités en cours de mise en œuvre) au 1er janvier 2020. Au lieu de payer une taxe fixe, ou au nombre de levées, l’usager paie la quantité de déchets collectés. Les études montrent une diminution des OMR collectées de 84 kg par habitant, et de 33 kg par habitant, soit une diminution de la quantité des déchets et une amélioration de la qualité du tri !

Pour ce qui est des équipements des ménages (hors véhicules particuliers), l’allongement de leur durée de vie (réemploi, réparation) est un bénéfice environnemental et économique non négligeable. Selon l’ADEME, l’allongement de cette durée d’un an pour chaque ménage français représenterait une économie globale de 27 milliards d’euros et de 6 millions de tonnes éq. CO2 d’émissions de gaz à effet de serre. Outre le développement de filières de réemploi préconisé par l’ADEME, des dispositions ont été introduites par la loi AGEC, telles que l’introduction d’un indice de réparabilité des produits, ou l’amélioration de l’information des consommateurs sur la disponibilité de pièces détachées et le maintien de la compatibilité logicielle.

Enfin, l’un des combats à mener concerne le tri des matières organiques. Le dossier « La main dans le bac »[6] de l’ADEME est un très bon guide, mettant en avant les difficultés rencontrées et des recommandations à suivre. Les propositions sont globalement d’ordre éducatives, politiques et organisationnelles : un meilleur accès à l’information pour tous, de meilleures et plus nombreuses formations pour les agents territoriaux et les référents, le développement de partenariats entre collectivités, le renforcement des liens entre les acteurs publics et privés et le soutien aux initiatives associatives, des habitants et des professionnels.

 

Dans un premier temps, nous avons vu la distribution des déchets ménagers, leurs quantités et les objectifs de la loi AGEC quant à leur diminution, dont nous nous sommes éloignés depuis 2015. Nous avons encore du chemin à parcourir dans le tri des ordures ménagères résiduelles et dans le recyclage, notamment des emballages plastiques. Pour répondre à ces objectifs, deux types de solutions s’ouvrent à nous : le développement de nouvelles solutions technologiques et un changement dans nos habitudes comportementales et organisationnelles. Ces solutions sont complémentaires, et s’appliquent à toutes les maillons de la chaîne de gestion des déchets : la conception des produits, le réemploi et la réparation, le tri, le compostage des déchets organiques, la collecte, l’acheminement dans les centres de tri et la remise en circulation des matières réutilisables ou recyclées. Ces deux typologies d’action vont de pairs : le push de nouvelles technologies ne peut être efficace que s’il est suivi d’un changement profond de notre façon de consommer, qui ne peut avoir lieu sans infrastructures et sans changement de l’offre. D’après le rapport de l’ADEME, « Les Français attendent de l’action sur l’écologie et considèrent les déchets comme un problème environnemental préoccupant », espérons que ces dires seront accompagnés des actions nécessaires, et qu’il ne soit pas déjà trop tard…

Thibaut Perrouin

Sources

[1] Harpet, C. (1999). DECHET (DU) / PHILOSOPHIE DES IMMONDICES: Corps, ville, industrie. Editions L’Harmattan.
[2] IN NUMERI. (2021, December). Déchets chiffres-Clés : L’essentiel 2021. La librairie ADEME. Retrieved April 30, 2023, from https://librairie.ademe.fr/dechets-economie-circulaire/5417-dechets-chiffres-cles-l-essentiel-2021-9791029719622.html 
[3] CITEO. (2021, November). Produire, distribuer et consommer en préservant notre planète – CITEO. CITEO. Retrieved April 30, 2023, from https://bo.citeo.com/sites/default/files/2021-11/CITEO_Rapport%20annuel_2020_POSMOF2_20211105.pdf 
[4] Meslard-Hayot H., Moreau S., 2019. Etude des corbeilles de propreté en France et à  l’international : la réduction des déchets et le tri hors foyer : les nouveaux défis de la propreté urbaine. Zéro Déchet Touraine
[5] Actu-Environnement. (2022). Tri des déchets : l’innovation made in France. YouTube. Retrieved April 30, 2023, from https://www.youtube.com/watch?v=Be01vlIL5Ew&t=11s.
[6] COMPOST : La main dans le bac – La librairie ADEME. (s. d.). La librairie ADEME. https://librairie.ademe.fr/dechets-economie-circulaire/5603-compost-la-main-dans-le-bac.html